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ÉGLISE SAINT-BONAVENTURE

 

Au centre de la Presqu’île, tout près de l’angle de la rue de la République et de la rue Grenette, s’élève l’église Saint-Bonaventure. Sa découverte ne provoque pas un choc majeur : elle n’est pas vraiment intégrée dans son quartier ; en outre, elle est basse, assez humble, dépourvue de détails exceptionnels. Si l’on en fait le tour, un examen attentif révèle quelques éléments plus élaborés ; mais l’impression de départ demeure.

 

Description

 

Avec ses trois portails et ses pilastres très décorés jouxtant des surfaces nues, la façade surprend. De tout l’édifice, elle est la partie la plus fortement imprégnée de style gothique, mais avec des singularités qui la rendent profondément originale. La partie centrale est construite selon une stricte symétrie, de part et d’autre d’un axe matérialisé par trois baies superposées : tout en bas, le portail de l’entrée principale ; au-dessus, une grande rose ; au-dessus encore, un œil-de-bœuf surmonté d’un pinacle. La façade s’organise autour de cet axe : de part et d’autre, les éléments (portails, baies, pilastres, balustrades) se répondent deux à deux. Par un raffinement, les portails non seulement se répondent, mais aussi sont eux-mêmes symétriques.

 

De nombreux détails annoncent un changement d’époque imminent. Sur le côté droit de la façade,  certains pinacles sont inachevés : ils sont hérissés de pierres brutes qui étaient destinées à devenir des fleurons mais qui n’ont jamais été sculptées et sont restées à l’état d’ébauches. La grande rose rappelle (en moins vaste), sa contemporaine de la Primatiale Saint-Jean : des figures circulaires tangentent un cercle central, chacun de ces éléments étant renforcé par un remplage. De nombreux autres détails décoratifs annoncent le style rayonnant.

 

Mais les singularités vraiment soignées sont rares et groupées en quelques points. Si on les excepte, on voit bien que la façade est très peu sculptée, sans doute par souci d’économie.

 

 

L’époque, le milieu du XIVe siècle, était accablée par la guerre de Cent-Ans : l’argent était rare. Les flancs de l’église confirment l’impression laissée par la façade : les ornements dont ils sont pourvus sont peu nombreux, groupés autour des baies et des portails. Le plus soigné de ceux-ci s’ouvre dans le flanc ouest : avec son double gâble et ses pinacles, il ressemble à ceux de la façade.

 

 

Le chevet, percé de baies lancéolées, hautes et étroites, offre un net élan vertical. Il semble qu’il soit la partie la plus ancienne de l’église. Quant au campanile, il est moins soigné et plus récent: ses façades sont lisses et aveugles, sauf tout en haut, où des baies, à plein cintre, surprennent dans cet ensemble gothique.

 

 

L’intérieur de l’église révèle un plus grand effort de qualité et présente un plus grand intérêt. Le style est toujours gothique mais il apparaît moins tardif et plus pur. La nef centrale, haute, comme l’annonçait la façade, est flanquée de deux collatéraux beaucoup plus bas, qui donnent eux-mêmes accès aux chapelles latérales. La faible hauteur moyenne de l’édifice a réduit le poids qui pèse sur les piliers. Ceux-ci ont pu être construits plus grêles et moins nombreux. L’ossature des voûtes est assurée par des croisées de nervures typiquement gothiques, d’un modèle très classique. Quelques chapelles latérales sont dotées de couvrements complexes.

 

Enfin, la différence de hauteur entre la nef centrale et les autres travées a permis d’ouvrir des baies qui éclairent les plus hautes voûtes, pratiquement sans être visibles du sol. De ce fait, la pénombre qui règne dans l’église surprend : même le recours au style ogival n’a pas permis d’éclairer plus généreusement la nef (le chœur est mieux loti). On ne retrouve guère ici l’esprit gothique, qui permet l’entrée de flots de lumière beaucoup plus importants.

 

Au passage, on remarque les vitraux, qui ont souffert des caprices de l’histoire. Le dernier de ces caprices a été la destruction à l’explosif des ponts sur le Rhône, en 1944 : très peu de vitraux ont pu être restaurés ou protégés.

 

 

Des restaurations d’envergure ont été conduites par Jean-Gabriel Mortamet à la fin du XXe siècle. Cependant, la mise en valeur de l’église Saint-Bonaventure ne semble pas avoir été jugée prioritaire pour la Ville de Lyon, au moins au cours des dernières décennies : du  coup, on peut repérer quelques détails discordants. Ainsi, plusieurs gouttières sont en zinc ; une armoire métallique de série a été ajoutée contre le flanc ouest du chevet.

 

Aperçu Historique

 

Arrivés à Lyon au début du XIIIe siècle, les moines franciscains obtinrent du sénéchal de Grôlée une parcelle de terrain située dans ce quartier alors à l’écart mais plein d’avenir ; ils y construisirent un couvent et une nouvelle église, consacrée en plusieurs fois de 1327 à 1338. En l’installant en ce lieu, ils ne se doutaient pas des péripéties qu’elle allait devoir affronter : son emplacement, privilégié, allait être très disputé au cours des siècles suivants.

 

Agrandie au XVe siècle, Saint-Bonaventure devint l’église des Confréries corporatives [1], qui financèrent la construction, de 1471 à 1625, de plusieurs chapelles souvent soignées (chapelle dont Sainte-Geneviève). L’alliance avec les confréries assurait à l’église une sécurité financière mais l’entraîna dans des conflits pas toujours religieux. C’est ainsi qu’en 1529, elle fut maltraitée par une émeute.

 

En 1562, à l’occasion des guerres de religions, elle fut dévastée par les soudards du Baron des Adrets : autels renversés, chapelles pillées, reliques brûlées. La restauration nécessita plusieurs interventions lourdes entre la fin du XVIe siècle et la fin du XVIIIe siècle. C’est alors que survint la tempête.

 

On ne peut comprendre les nombreuses destructions opérées par la Révolution sans tenir compte d’un fait essentiel : les propriétés religieuses occupaient tant de place dans la ville que leur récupération relevait de la nécessité. Par exemple, en 1789, le territoire des Cordeliers « tendait du Rhône à la Saône » [2]. En d’autres termes, elles occupaient dans cette ville surpeuplée, des surfaces sous-utilisées qui provoquaient bien des convoitises. En vertu d’un décret pris par l’Assemblée législative en 1790, les moines furent chassés ; ils quittèrent l’église en 1791, « 569 ans après la construction de l’église, 460 ans après sa fondation» [3]. Le 4 août 1792, un nouveau décret ordonnait la mise en vente des maisons religieuses comme Biens nationaux.

 

Le 4 septembre 1796, la vente était enfin achevée et la démolition des biens conventuels pouvait commencer. Vendus, le cloître [4] fut démoli et les jardins banalisés ; l’ensemble disparut [5]. Dé-consacrée, l’église fut affectée à divers usages profanes : entrepôt de planches puis de paille  (et, un temps, de fumier) ; halle au blé ; puis hébergement d’un corps de garde. Après la chute de la Convention, elle fut encore plusieurs fois réaffectée, en particulier comme atelier et garage d’une pompe à incendie. Pour finir, elle fut restaurée et rendue au culte en 1806.

 

La reconstruction du quartier commença alors, s’inspirant assez librement des plans établis dès1796 [6] par les dénommés Allard, Bonnard et Caire, voyers de leur état. L’église se retrouva isolée, dans un environnement complètement bouleversé. Un simple coup d’œil aux plans cadastraux et même un examen sommaire de son implantation actuelle par rapport aux bâtiments voisins permettent de juger à quel point elle était peu intégrée au nouveau contexte urbain : la logique de son implantation avait disparu avec le quartier démoli. Malgré cela, on n’y toucha pas mais on s’employa à bouleverser du tout au tout son environnement bâti.

 

Quelques décennies plus tard, le second Empire prit le relais et apporta à son tour un flot de changements. Chargé de conduire la restauration, l’architecte Louis-Frédéric Benoît s’y employa avec conviction. Citons l’abbé Vignon [7] : "l’architecte en augmenta les ornements, agrandit le diamètre des rosaces, redressa l’ogive, s’efforça d’atteindre un gothique plus pur" En 1861, une nouvelle restauration, conduite sous la direction du même Benoît,  permit de remettre la façade en bon état, sans toutefois la modifier fondamentalement [8]. Vignon note tout de même que "le porche extérieur, gothique, a été construit en 1848"…  Ajoutons la destruction de la plupart des vitraux en 1944, lors du dynamitage des ponts par les armées allemandes. En résumé, pour qui n’est pas archéologue, il est difficile de repérer à coup sûr dans l’église Saint-Bonaventure les éléments authentiquement médiévaux.

 

Les interventions subies par l’église postérieurement à la seconde Guerre mondiale ont été plus respectueuses, en particulier celles conduites par Jean-Gabriel Mortamet. En revanche, son environnement immédiat a encore été modifié en 1952 : un grand magasin a été construit entre l’église et le Rhône, par l’architecte Charles Delfante.

 

 

 

Notes

 

[1] Puissantes associations professionnelles de l’époque médiévale, qui constituaient en quelque sorte les ancêtres des syndicats professionnels. (Définition du Petit  Robert ,édition de 2003)
[2] Cf. Abbé Vignon, Un sanctuaire au cœur de Lyon. Lyon, 1982. AML
[3] Cf. Abbé Pavy, Les grands Cordeliers de Lyon, église et cloître Saint-Bonaventure. Lyon, 1833. BM, Fonds Chomarat, A 4963.
[4] On devrait dire les cloîtres : il y en avait trois.
[5] L’idée qu’une église devait être isolée était alors considérée comme allant de soi : les lieux furent tant modifiés qu’on a les plus grandes difficultés à repérer à quel endroit existait le contact entre Saint-Bonaventure et son cloître.
[6] "Plan géométral des terrains et bâtiments dépendant des ci-devant Cordeliers à Lyon, avec le projet des places et des rues à ouvrir" 15 fructidor an 4 (AML, cote 1612 WP 54)
[7] Abbé Vignon. Op. cité.
[8] On peut en juger d’après le dessin en perspective cavalière de Rogatien Le Nail (hors-texte de l’ouvrage de Vignon) qui représente l’église telle qu’elle était au XIVe siècle. La façade avait déjà son apparence actuelle.