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Des ermites s’installèrent dès le Ve siècle au Mont Carmel, en Terre Sainte. Ils vivaient dans des cellules, autour d’une chapelle dédiée à Notre-Dame du Carmel et étaient dirigés par un prieur. A partir de 1240, ils quittèrent progressivement le Mont Carmel pour venir en Europe où ils eurent beaucoup de mal à s’adapter. En 1247 ils demandèrent alors au Pape Innocent IV la permission de vivre dans les villes, quittant leur statut d’ermites pour devenir un ordre mendiant. L’histoire des Carmes commence en France en 1252, lorsque l’archevêque Louis de Villars décide de donner à cet ordre religieux un terrain sur lequel ils construisirent un couvent en 1303.
Dès le milieu du XVIIe siècle, une réforme catholique, impulsée par Thérèse d’Avila et Jean de la Croix, incite les ordres religieux à modifier les règles de discipline, après un relâchement progressif dans leur application. Les Carmes vont ainsi très vite adopter la réforme en revenant à leur règle fondatrice. C’est à ce moment-là qu’ils seront qualifiés de déchaussés, la rigueur primitive de l’ordre imposant les pieds nus dans les sandales.
Le couvent des Carmes Déchaussés fut fondé par Philippe de Nérestang, premier grand-maître de l’ordre militaire de Notre-Dame du Mont-Carmel créé par Henri IV. Il reçut les bulles de fondation dès 1608. Il s’engagea auprès du Pape à fonder un couvent des Carmes Déchaussés sur une de ses terres, situées en Forez ou sur sa seigneurie de la Duchère. Mais les carmes désiraient s’installer dans la ville de Lyon, considérant le milieu urbain plus propice au recrutement et aux aumônes. Philippe de Nérestang et les religieux tombèrent d’accord sur le choix du rocher de Thunes, au-dessus des rochers de Pierre Scize qui dominent la Saône
C’est ainsi qu’en 1617, Le marquis d’Hallincourt, alors gouverneur de Lyon et Philippe de Nérestang firent l’acquisition, sur la colline de Fourvière, de deux bâtiments avec jardins, appelés « Grand Thunes » et « Petit Thunes », séparés par une muraille et longeant le chemin de Montauban. Ce bien appartenait à une famille d’un banquier italien établie à Lyon, les Mascrany. On peut voir ce tènement sur le plan de Simon Maupin datant de 1625.
Cependant, la mise en œuvre de cette fondation n’est pas simple. Les négociations avec le Consulat et les institutions municipales sont difficiles. Le Consulat demande la présentation de contrats de fondation et de dotation assurant la pérennité de l’institution. Ceci va évidemment à l’encontre des règles de cet ordre qui ne possède rien et ne survit que grâce à l’aumône. C’est finalement Philippe Nérestang qui, par son intervention auprès de Charles de Neuville d’Hallincourt de Villeroy, alors gouverneur royal, obtiendra l’octroi d’une rente annuelle de mille livres, en janvier 1618 .
Le Consulat reconnaîtra alors le couvent, mais l’environnement resta hostile. Les Capucins proches voisins furent sources de conflits. C’est donc en février 1618 que les religieux entrèrent discrètement dans leur couvent. Ce dernier sera placé sous le vocable de Notre-Dame du Carmel et le RP Maurice de Saint-Georges en sera le premier prieur.
Grâce à la rente accordée, les religieux purent commencer les travaux pour adapter les lieux à leurs besoins. Ils construisirent la chapelle conventuelle et le cloître. Grâce à la générosité de l’épouse du gouverneur Camille de Neuville, la comtesse Jacqueline de Harlay, une petite chapelle provisoire fut aménagée. C’est cette même comtesse qui fut la fondatrice du couvent des carmélites de Lyon. A partir de 1619, la chapelle ouvrira au public pour les célébrations de la messe et pour les confessions.
Le prieur fit aussi aménager dix-huit cellules dans un vaste grenier parallèle à la maison. L’église fut construite entre 1622 et 1625 grâce à de riches donateurs qui en assurèrent la décoration et y élirent sépulture. Philippe de Nérestang, le fondateur, aura son mausolée dans le chœur. Le banquier Barthélémy Lumagne fit ériger et décorer une chapelle funéraire avec du marbre d’Italie. D’autres importantes familles lyonnaises firent ériger de petites chapelles en échange d’absolutions.
A partir de 1623, ce tènement étant édifié sur le rocher de Thunes, des murailles de soutènement, servant également de clôture, furent construites. En 1624, un nouveau chemin fut percé, reliant le parvis de la chapelle au chemin de Bourgneuf. Ce n’est qu’en 1627 que les Carmes Déchaussés recevront l’autorisation de mendier, après plusieurs interventions du pouvoir ecclésiastique et royal.
Dès que les religieux s’installent dans la maison du "Grand Thunes" ils commencent les travaux d’aménagement. Ils construisirent l’église conventuelle sur la face orientale, contre le bâtiment, puis le cloître sur la face occidentale. Le grand bâtiment conventuel ne sera construit qu’en 1650, par les frères Pierre, François et Sébastien Baillond ou Bailloud, maîtres maçons et le maître charpentier Jean Allemand.
Le grand escalier rampe sur rampe est l’œuvre de François Buy, tailleur de pierre de Saint-Didier et Saint-Cyr. Une série de salles conventuelles seront également construites à l’est et la surélévation des deux galeries nord du cloître permettront la construction d’un grand dortoir.
Grâce à la donation de la comtesse Jacqueline de Harlay, épouse du gouverneur Camille de Neuville, une petite chapelle fut aménagée, à titre provisoire.
En 1663, une autre campagne de travaux concernera, à l’extrémité sud-ouest du couvent, la construction de l’aile des cuisines. Cet ensemble sera élevé sur les fondations d’un bâtiment dont les sous-sols comportent déjà bassins et fontaines correspondant sans doute aux jardins de la maison de Thunes.
En 1684, la construction des dortoirs de l’aile sud sera entreprise en surélevant le bâtiment existant de deux étages. Les travaux requis comprenaient également la construction de l’escalier de la bibliothèque, entre le deuxième et le troisième étage, dans l’épaisseur du mur, ainsi que d’autres aménagements. Ces travaux seront menés à bien par Claude Bonnet, maître maçon et François Paquin, maître charpentier.
Pendant le XVIIIe siècle les travaux porteront essentiellement sur l’embellissement de l’église et sa décoration. Les espaces intérieurs du couvent seront également réaménagés.
Ce n’est qu’en 1729 que deux architectes de la famille Roche seront chargés de dessiner et d’élever une nouvelle façade pour cette église, ainsi que d’autres travaux comprenant l’achèvement des voûtes, le rétablissement du pavement à l’entrée, et compléments, réparations et/ou consolidations. Le maître maçon Jean Pierre la Grave construit un escalier, avec un perron à trois pans, qui va du chemin à l’entrée de l’église, ainsi qu’un mur de clôture. Claude et Joseph Rigollet , maître menuisier, réalisent la porte de l’église toujours en place aujourd’hui.
En 1730, c’est un autre maître menuisier, Claude Rey, qui réalisera le boisage en noyer du chœur de l’église ainsi que les boiseries du réfectoire.
De nouveaux travaux entrepris en 1743 concernent le chœur du 1er étage du bâtiment central qui sera doté de boiseries, d’une fausse voûte et de décorations en stuc (rosaces, corniches, pilastres…), ainsi que des panneaux sur les murs sur lesquels furent apposés de grands tableaux de Daniel Sarrabat, représentant des actions de Sainte Thérèse.
Au cours du XVIIe siècle, le couvent prend en charge la formation des religieux puis accueille le cycle de théologie, ce qui explique l’importance de la bibliothèque qui abrite plus de 5000 volumes. Durant le XVIIIe siècle, des boiseries remarquables, en noyer avec pilastres cannelés portant armoiries, sont installées.
Ces boiseries seront transférées au Palais Saint-Jean au début du XIXe siècle, probablement avant la vente des bâtiments qui sera concrétisée en 1803. Toujours en place, elles accueillent aujourd’hui la bibliothèque de l’Académie des sciences, belle-lettres et arts de Lyon.
A la suite du décret du 13 février 1790, qui supprime les ordres religieux à vœux solennels, un inventaire des biens et revenus du couvent sera effectué en mai 1791. Les propriétés furent mises en vente, divisées en quatre lots. Trois lots furent acquis par des privés, la ville de Lyon obtint le lot comprenant l’église, les bâtiments du cloître et les jardins et la grande terrasse.
Après plusieurs hypothèses d’occupation des locaux, propriété de la ville, l’autorité militaire prendra possession des lieux le 15 février 1800 pour servir de casernement pour les conscrits arrêtés dans le sud-est et amenés à Lyon. Les militaires ayant quitté les lieux, plusieurs projets ayant avorté, la ville vendit les bâtiments à un marchand de chevaux. Un nouveau propriétaire louera les locaux à l’œuvre du Refuge Saint-Michel.
Après que le bâtiment ait changé plusieurs fois de propriétaires, Sœur Marchand, supérieure des Filles de la Charité, réussit à trouver les fonds nécessaires afin de rétablir un couvent de la congrégation des Carmes Déchaux de France. La vente aura lieu le 8 septembre 1857. Figure sur l’acte de vente, la signature de l’architecte Pierre-Marie Bossan comme représentant de l’acquéreur le père Hermann, ce dernier désireux de rétablir l’ordre du Carmel. L’année suivante, les religieux s’installeront et commenceront la restauration de l’église et des bâtiments conventuels, dirigée par Pierre-Marie Bossan, et l’entreprise Bernard. La décoration religieuse fut faite par les peintres Paul Borel en 1862 et Claudius Barrot en 1867. Cette restauration sera interrompue par la chute du second Empire. En 1870 leur église fut saccagée lors des conflits de la jeune république avec la Prusse. Les religieux seront indemnisés, mais ils ne désireront plus poursuivre la restauration de leur couvent.
En 1874, Léopold Niepce, en accord avec les religieux, proposa que s’installent dans ces bâtiments, les archives municipales, les archives départementales et un musée historique du Vieux Lyon. Un relevé des bâtiments et une ébauche du projet d’appropriation des bâtiments furent faits par . L’architecte de la Ville, Abraham Hirsch et l’architecte du Département, Antonin Louvier, travaillèrent sur le projet et présentèrent, en 1875, des plans consignés. Mais en 1880, le décret sur les congrégations religieuses non déclarées entraîne l’expulsion des Carmes Déchaussés de la ville de Lyon et leur église est mise sous scellés.
Pendant vingt ans, les bâtiments seront loués à Arthur Hippolyte Savigny, qui créera l’Institut préparatoire au baccalauréat, ainsi qu’aux écoles du gouvernement.
En 1902, en application de la loi sur le contrat d’association, la congrégation sera dissoute et les religieux trouveront refuge en Belgique, à Mons. Ils loueront cependant les bâtiments à un autre enseignant Fernand Robert, qui va créer l’Ecole Nouvelle, non confessionnelle. Intervint alors, en 1904, la liquidation judiciaire des propriétés de l’ancienne congrégation des Carmes Déchaussés qui provoqua la mise en vente publique du couvent par autorité de justice. Le mobilier fut vendu aux enchères. Les adjudications successives furent infructueuses. Le bâtiment fut finalement acheté par le Département du Rhône, avec l’intention d’y installer les archives départementales. En 1907, trop à l’étroit dans leurs anciens locaux, les archives départementales seront transférées en ces lieux. Le projet de restructuration du bâtiment sera confié à l’architecte Louis Rogniat. Les travaux, commencés en 1907, dureront jusqu’en 1911. Les archives départementales ouvriront leurs portes au public en 1912. Les travaux d’aménagement des magasins se poursuivront pendant tout le XXe siècle. Mais ceci est une autre histoire ! En 2014, les archives départementales sont transférées dans le quartier de la Part-Dieu. Le bâtiment des Carmes Déchaussés est alors vendu aux Maristes de Lyon qui ouvrent une école avec internat.
Les bâtiments encore existants aujourd’hui ont été construits à l’emplacement de l’église et du cloître. Ils comprennent six corps de bâtiments disposés, autour de deux cours intérieures, en quadrilatère.
Ne restent de l’ancienne église que quelques vestiges dont une porte surmontée d’un décor héraldique et une façade avec corniche supportée par six pilastres corinthiens, ainsi que le chœur des religieux. Le clocher est couvert d’un dôme en ardoise avec épi de faîtage. Sous le porche le pavement noir et blanc en damier a été conservé.
A l’emplacement du cloître la galerie voûtée d’arêtes, conservées sur trois côtés, est dédoublée par un couloir également voûté. Dans l’aile ouest, où se trouvait l’ancien réfectoire, subsiste un étage de soubassement voûté en berceau. Dans l’aile sud-ouest, on trouve des vestiges tels que fontaine et bassins au sous-sol. Au rez-de-chaussée, existe encore une galerie à arcades voûtée d’arêtes, comportant des marques de tâcherons, qui donne sur la terrasse. Sont également conservées une cheminée monumentale, une pièce voûtée d’arêtes retombant sur des piliers à chapiteaux cubiques. Le grand escalier rampe sur rampe datant de 1650 et l’escalier à quatre noyaux du réfectoire furent maintenus.
Au premier niveau de la façade, existent encore des embellissements du XVIIIe siècle. Fut conservée également la petite chapelle ornée des peintures de Paul Borel. Ces dernières seront très endommagées par de nouvelles installations de rayonnages d’archives, entre 1966 et 1968.