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Le vaste réseau de souterrains de la Croix-Rousse dit « Arêtes de Poisson » est également appelé, selon les auteurs, et selon les époques, « réseau des Fantasques » ou encore, galeries souterraines de la Balme Saint-Clair.Il est venu à notre connaissance très récemment. Sa datation est aussi très récente. L’ensemble des souterrains représente 1,4 kilomètres de galerie, 480 mètres de puits, 34 arêtes, et 16 puits. Nous parlerons ici d’abord des études menées par le Service Archéologique de la Ville de Lyon sous la direction d’ Emmanuel Bernot. Nous avons en final rajouté l’hypothèse de Walid Nazim et celle de Djamila Fellague.
Malgré une première découverte qui a laissé des traces dans des archives en 1651, lorsqu’un fontainier de la Ville de Lyon en découvre quelques éléments lors du percement d’une galerie en vue de l’alimentation de la fontaine de l’Hôtel de Ville, place des Terreaux, ce n’est qu’au XVIIIe siècle qu’on trouve de nouvelles traces dans les archives.
En 1776, Jacques Germain Soufflot, architecte de l’Hôtel Dieu, trouve des "vestiges d’anciens murs de fondations de maisons, des puits et des caves au-devant des remparts dans le lit du Rhône".
En 1846, c’est un archéologue, François Artaud, qui donne une première description générale des arêtes.
Et, en 1850, Antoine-Marie Chenavard, architecte et enseignant, collaborant fréquemment avec François Artaud, donne la première reproduction d’une partie des arêtes dans l’ouvrage "Lyon antique restauré d’après les recherches et documents de F.M.Artaud".
En 1941, on procède au percement du tunnel de la Croix-Rousse : on découvre deux galeries qui seront finalement détruites.
Amable Audin, archéologue de la Ville de Lyon, spécialiste du Lugdunum gallo-romain, fouille un puits profond dans la cour du n°10 de la rue des Fantasques et découvre, au fond de ce puits, du mobilier, des monnaies datant de la fin du deuxième siècle et une dépouille de soldat romain.
C’est alors qu’en 1959 se produisent des effondrements répétitifs sous le trottoir à l’angle de la rue Grognard et de la rue des Fantasques : on y découvre à cette occasion près de 5 m3 d’ossements « d’apparence très ancienne ». Ces ossements ont, depuis, disparu, et on n’en retrouve aucune trace dans les archives, la dernière trace étant un rapport indiquant que les services techniques avaient l’intention de les laisser en place ...
En 1961, un autre affaissement autour d’un puits carré dévoile une salle souterraine. Celle-ci se révèle connectée à une portion déjà identifiée en 1932 en liaison avec un puits débouchant rue Magneval.
Des travaux significatifs sont alors entrepris pour consolider les galeries. Ils vont durer près de dix ans. Lors de ceux-ci, sont découverts des tessons de céramiques, des objets métalliques antiques et les restes d’une demi-couronne de laurier antique en bronze recouverte de feuilles d’or. Elle a été attribuée aux Victoires ornant l’autel du sanctuaire fédéral des trois Gaules tel qu’il est représenté sur des monnaies romaines et elle est aujourd’hui exposée à Lugdunum musée -et théâtres romains.
Dès lors, les travaux d’exploration par le service archéologique sont plus fréquents, et ce, jusqu’en 1968.
Alors que se précise le projet de creusement d’un deuxième tunnel de la Croix-Rousse réservé aux "modes doux", l’opinion commence à se manifester en faveur de la préservation des arêtes qui sont menacées par ces travaux.
En réponse à la prescription de diagnostic c’archéologie préventive émise par l’Etat (DRAC Rhône-Alpes), le Service Archéologique de la Ville de Lyon réalise alors une étude de l’ensemble du réseau et considère d’abord que la construction de ce réseau remonte au XVIe siècle. Il ferait partie d’un ensemble de défense incluant la citadelle de Lyon édifiée sur la Croix Rousse et aujourd’hui disparue.
Les deux arêtes concernées par la construction du deuxième tunnel sont néanmoins partiellement détruites en 2011 malgré l’agitation médiatique.
En 2013, les archéologues livrent le résultat de leurs derniers travaux : plusieurs indices, dont des graffitis latins et des datations au carbone 14 de fragments de bois inclus dans des mortiers permettent de trancher : l’ensemble remonterait à l’époque antique (entre le IVe siècle avant J.-C. et le début du 1er siècle après J.-C.). Toutefois, la fonction de cet ensemble reste totalement inconnue, même si diverses hypothèses ont été émises.
C’est un vaste réseau, semblable à rien d’autre au monde. Il est composé de deux sous-ensembles.
Le premier de ces sous-ensembles, le réseau des Arêtes de Poisson proprement dit, s’étend du Rhône à la rue Magneval. Il comprend une galerie principale en quatre segments. Dans le premier segment, 25 mètres sous la surface, cette galerie principale de 156 mètres de long, est complétée par neuf galeries secondaires, parfaitement horizontales, perpendiculaires à la principale et la coupant en leur milieu), toutes d’égale longueur (30 mètres) et d’égale section (2 m de large et 2,2 m de haut). A chaque intersection, s’élève un puits carré de 1,90 mètres de section remontant jusqu’à la surface (ou ayant remonté à la surface, les travaux en surface en ayant fait disparaîitre beaucoup).
Dans l’une de ces galeries, on a trouvé un caillou erratique, de même composition que le « gros caillou » de la Croix Rousse. Il est surnommé « Le gardien ». On se perd en conjectures sur les raisons de sa présence à cette profondeur, ce type de caillou étant généralement en surface …
Sous la galerie principale, à 8 mètres de distance, on trouve une seconde galerie, de mêmes dimensions, parallèle à la principale, mais dépourvue d’arêtes.
Un second segment légèrement décalé vers le Nord-Est par rapport au premier, est construit sur le même modèle que le premier mais ne comporte que trois arêtes et trois puits. Encore un peu plus décalé vers le Nord Est, le troisième segment ne comporte que deux arêtes et deux puits, tandis que le quatrième en comporte deux et deux puits.
Tous ces segments sont reliés entre eux par des galeries de liaison.
Enfin, une dernière galerie de liaison, vers le bas du réseau, se dirige vers le Rhône et est envahie par les eaux, le niveau du Rhône ayant évolué lors des deux derniers siècles.
Le second sous-ensemble, dénommé « extension Nord » ou encore « la Grande fantasque », se situe sur la partie supérieure de l’ensemble et est connecté au premier sous-ensemble par une longue galerie horizontale. Là aussi, on a une galerie principale, en déclivité mais dont la perte de pente est assurée par une succession de segments horizontaux et des ruptures brusques de niveau de plusieurs mètres, sans élément apparent tels que des escaliers ou des pans inclinés qui pourraient aider le franchissement de ces ruptures de niveau. Une galerie secondaire suit le parcours de la principale àcôté de celle-ci à quelques douze mètres de distance.
Ici, aucune arête ne se connecte sur la galerie principale, mais des puits remontant jusqu’à la surface sont là aussi disposés à chaque rupture de pente … On en compte 23.
Enfin il faut mentionner l’existence de 5 salles de plus grandes dimensions disposées vers l’extrémité nord-ouest de l’extension nord, sous la montée Saint Sébastien et la rue Grognard.
Au total, c’est un chantier titanesque : il s’agit de 1,4 kilomètres de galerie, 480 mètres de puits, 34 arêtes, et 16 puits plus ceux de l’extension Nord et environ 12.000 m3 de déblais qui ont dû être évacués.
La construction de cet ensemble est très homogène : unité de dimensions pour les galeries, les puits et les arêtes sur toute la construction. Les mortiers sont tous de même type et les pierres qui ont été utilisées proviennent d’une carrière située dans levillage de la Salle, à plus de 80 kilomètres au nord de Lyon.
Il semble que tout ceci ait été construit au même moment. Il semble aussi que les travaux se soient subitement arrêtés et que l’ensemble n’ait jamais servi. En effet, on ne trouve aucune trace d’installations mineures, ni même d’éclairage et certaines galeries n’ont pas été terminées …
L'hypothèse principale du Lyonnais Walid Nazim est que le réseau des arêtes de poisson était un entrepôt du trésor des Templiers construit au XIIIe siècle, lorsque la Croix Rousse appartenait au seigneur de Miribel et grand maître de l'ordre du Temple, Guillaume de Beaujeu.
D'après lui, la double voie des Sarrazinières s'étendant jusqu'à Miribel, à 18 kilomètres de Lyon, aurait permis de creuser les arêtes de poisson à l'insu des Lyonnais. Les constructeurs ont eu recours à la pierre du Beaujolais, et non à de la pierre d'extraction locale, ce qui laisse supposer un projet de grande envergure, dont les plans ont toutefois été perdus ou détruits.
L'enquête de Walid est passionnante : cherche-t-on à maintenir le silence autour de ces souterrains ? Aucune trace de construction ou d'utilisation, des milliers d'ossements humains qui ont disparu sans être analysés, des rapports qu’on ne retrouve plus ...
Une chose est certaine : le réseau souterrain des Arêtes de Poisson constitue une part importante du patrimoine lyonnais méritant d’être respecté et protégé.
Les Arêtes de Poisson supposent une organisation rigoureuse avec de grands moyens, que ce soit des moyens techniques, des moyens financiers, une main d’oeuvre importante, et aussi un pouvoir politique pour construire un tel édifice. Donc si on se place à l’époque antique, il faut se placer du côté du gouverneur de la province ou de l’empereur.
Ce vaste réseau de galeries, ouvrage hors du commun, pourrait répondre aux caractéristiques exceptionnelles du site de Lyon antique, qui n’en manquait pas. Selon une expression de P. Wuilleumier en 1948, Lugudunum faisait office de « seconde capitale du monde occidental ». En plus du sanctuaire des Trois Gaules, la ville ou plus généralement le territoire de la colonie accueillaient un atelier monétaire impérial, la garnison d’une cohorte urbaine, le siège de plusieurs administrations impériales et des Trois Gaules, dont des administrations financières et fiscales.
Les souterrains pouvaient répondre à des caractéristiques spécifiques du site de Lyon à l’époque antique. Il y avait une concentration d’administrations très importantes à Lyon. Il faut souligner aussi que l'atelier monétaire impérial était un des plus grands de l’Occident romain.
Et aussi que la cohorte urbaine, en lien avec l’atelier, était une unité militaire établie, et, en dehors de l'Italie, il n’y avait que deux villes dans lesquelles il y avait une cohorte urbaine : Lyon et Carthage.
La question est de savoir s’il pourrait y avoir un lien entre d'une part les souterrains qui comportent des salles pour lesquelles, pour l’instant, on imagine une fonction de stockage, et d'autre part des dépôts surveillés dont les textes et les inscriptions laissent entrevoir l’existence à Lyon.
Sans mixer toutes les hypothèses, n'a-t-on pas affaire simplement à des souterrains d'époque romaine qui purent être réutilisés par l'ordre des Templiers et/ou des militaires au XVIIe siècle ?
Aujourd’hui, l’accès à ces galeries est interdit et fermé : compte tenu de la complexité de la configuration des lieux et des risques de chute, les services techniques de la Ville ont fermé ou condamné les accès. Il n’existe pas de circuit organisé de visites pour le grand public.
E. Bernot, Ph. Dessaint, C. Ducourthial, S. Gaillot : Les souterrains de Lyon dans les galeries de la Croix Rousse- Archéologia n° 506 p. 42 à 51 - janvier 2013
Walid Nazim : L'énigme des arêtes de poisson - Lyon souterrain éditeur - 2011
Djamila Fellague : Les souterrains antiques de la Croix-Rousse à Lyon : de la quête ésotérique à l'enquête archéologique _ Archéologia no 556p. 56-62 - juillet-août 2017
François Artaud : Lyon souterrain ou observations archéologiques et géologiques faites dans cette ville depuis 1794 jusqu’en 1836 - Collection des bibliophiles lyonnais - 1846